L’accord-cadre et les quantités

Ni la réglementation belge, ni d’ailleurs la réglementation européenne dont elle est dérivée, ne font obligation aux pouvoirs adjudicateurs de mentionner des quantités maximales à exécuter pour un marché donné ou pour un accord-cadre déterminé.

En ce qui concerne les quantités présumées, les obligations reposant sur les pouvoirs adjudicateurs sont relativement souples puisque, par exemple, l’article 81 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution permet, pour les marchés de travaux, un dépassement du triple des quantités présumées avant d’autoriser une révision des prix (hors modifications apportées au marché).

Des dépassements très larges sont donc admis en Belgique sans que rien n’encadre de manière plus précise cette pratique des quantités présumées.

Tout au plus, alors que la règlementation ne l’exige même pas expressément, le Conseil d’Etat a-t-il condamné la pratique de n’indiquer aucune quantité présumée dans l’inventaire ou dans le métré d’un marché à bordereau de prix. Ainsi, le Conseil d’Etat a estimé[1] que la comparaison des offres au regard d’un prix total, qui n’était constitué que de l’addition de prix unitaires de 69 prestations différentes et qui, de facto, ne tenait pas compte de quantités présumées, ne permettait pas d’identifier à l’évidence l’offre faite au prix régulier le prix bas.

Cette jurisprudence condamne donc de manière certaine l’absence de mentions de quantités présumées.

Tel est donc résumé, au niveau belge, les obligations imposées à un pouvoir adjudicateur en matière de mention de quantités à exécuter pour un marché.

Un arrêt rendu le 17 juin 2021 par la Cour de Justice de l’Union européenne vient modifier les règles du jeu.

Suite à une question préjudicielle posée par la commission de recours en matière de marchés publics du Danemark, question qui interrogeait la conformité à la directive 2014/24 (dont sont issues toutes les législations nationales et notamment, en Belgique, la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics) d’un avis de marché relatif à un procédure ouverte de marché public en vue de la conclusion d’un accord-cadre d’une durée de quatre ans qui ne contenait aucune information sur la valeur estimée du marché ou sur la quantité estimée ou maximale des produits dont l’achat était prévu dans les accords-cadres.

En réponse à cette question, la Cour de Justice de l’Union européenne relève dans un premier temps qu’une seule interprétation littérale des dispositions relatives aux accords-cadres (article 33 et 49 de la directive, partie C de l’annexe V de ladite directive) n’est pas concluante aux fins de déterminer si un avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre.

Élargissant la réflexion, la Cour énonce ensuite que, par contre, au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 ainsi que de l’économie générale de cette directive, il ne saurait être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre.

En effet, la Cour note à cet égard que différentes dispositions de la directive 2014/24 conduisent le pouvoir adjudicateur à déterminer le contenu de l’accord-cadre qu’il envisage de conclure et notamment à établir la valeur maximale de l’ensemble des marchés envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre. Cet exercice d’évaluation devant être fait, la Cour estime que cette évaluation de la valeur maximale peut donc être communiquée aux soumissionnaires.

Enfin, et de manière principale, la Cour souligne que les principes fondamentaux du droit de l’Union, tels que l’égalité de traitement et la transparence sont applicables lors de la conclusion d’un accord-cadre. Or, tant les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination que le principe de transparence qui en découle impliquent que toutes les conditions et modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause

La Cour en conclut que les principes de transparence et d’égalité de traitement seraient affectés sans cette indication de quantité maximale, indication qui, selon ses termes, « revêt une importance considérable pour un soumissionnaire ».

En outre, le principe de transparence pourrait être méconnu si l’indication de la valeur maximale ne présentait pas un caractère juridiquement contraignant pour le pouvoir adjudicateur.

La Cour poursuit en indiquant que le fait d’exiger du pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre qu’il indique dans l’accord-cadre la quantité ou la valeur maximale des prestations que couvrira cet accord concrétise l’interdiction de recourir aux accords-cadres de façon abusive ou de manière à empêcher, à restreindre ou à fausser la concurrence.

L’arrêt se termine par deux précisions. La première est que les modifications qui ne sont pas substantielles restent admises, et la seconde que l’indication des quantités maximales peut figurer indifféremment dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, à la condition que ce dernier soit librement accessible à tout opérateur économique.

En conclusion, les pouvoirs adjudicateurs voulant faire usage d’un accord-cadre seront particulièrement inspirés de veiller à indiquer, de préférence dès l’avis de marché, les quantités maximales du marché, estimées de manière la plus juste possible, sous peine de prendre le risque de voir leur procédure d’attribution annulée à défaut de pareille mention.

La France a déjà transposé cette jurisprudence dans un décret du 23 août 2021 modifiant le Code de la commande publique.

En Belgique, aucune modification du prescrit légal n’est annoncée mais il ne fait cependant aucun doute qu’en cas de recours, la jurisprudence du Conseil d’Etat s’alignerait sur celle de la C.J.U.E.

La Commission des marchés publics a, quant à elle, rendu un avis le 19.11.2021 dans lequel elle conclut qu’un pouvoir adjudicateur ne peut passer des marchés fondés sur un accord-cadre que pour une certaine valeur ou une certaine quantité maximale et qu’une fois ce plafond atteint, l’accord-cadre a épuisé ses, sauf éventuelles modifications. Elle conseille également vivement aux pouvoirs adjudicateurs de se conformer à cette jurisprudence.

Gaël TILMAN


[1] C.E., arrêt n°240653 du 2 février 2018.

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