Le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 16 février 2011 une Directive 2011/7/UE relative à la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales dont le but avoué était de remédier aux effets négatifs pour les entreprises des retards de paiements tant des les transactions commerciales entre opérateurs économiques qu’à celles entre opérateurs économiques et pouvoirs publics.
La Belgique a transposé la partie relative aux transactions commerciales entre opérateurs économiques et pouvoirs publics dans un arrêté royal du 22 mai 2014, qui modifiait l’arrêté royal du 14 janvier 2013.
Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne rendu ce 20 octobre 2022 pourrait venir modifier l’interprétation qui a guidé les autorités belges lors de la transposition de cette Directive.
La Directive 2011/7/UE du 16 février 2011
Les considérants de la Directive 2011/7/UE du 16 février 2011 montrent toute l’attention que le Législateur européen a accordée aux effets négatifs sur les liquidités des entreprises que les retards de paiement engendrent et à la complication de la gestion financière qui en découle.
En conséquence de ces préoccupations, le Législateur, à côté des sanctions en termes d’intérêts de retard et d’indemnisation pour les frais de recouvrement, a enjoint aux Etats membres de veiller à ce que, dans des transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, le délai de paiement n’excède pas les trente jours civils, une extension à soixante jours civils étant prévue notamment pour les entités publiques dispensant des soins de santé.
L’arrêté royal du 22 mai 2014
Afin de transposer cette Directive dans l’ordonnancement juridique belge, le Roi a donc publié un arrêté le 22 mai 2014, qui modifiait l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics.
Ainsi, les nouveaux articles 95, 127 et 160 de cet arrêté royal du 14 janvier 2013 (respectivement pour les travaux, les fournitures et les services) incorporaient dorénavant ce nouveau délai de paiement de 30 jours.
Néanmoins, la règlementation prévoit toujours qu’un délai de vérification, de 30 jours maximum lui aussi, peut précéder le paiement, de sorte que le délai entre la fin des travaux, des fournitures, ou des services et le paiement effectif est de 60 jours maximum.
L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 20 octobre 2022
La Cour de Justice de l’Union européenne a été saisie de plusieurs questions préjudicielles par un tribunal administratif espagnol qui l’interroge sur l’interprétation à donner à plusieurs articles de la Directive 2011/7, dont l’article 4.
Le Tribunal administratif de Valladolid interroge notamment la Cour sur la compatibilité avec la Directive d’une règlementation nationale qui prévoit, de manière générale, pour toutes les transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics un délai de paiement d’une durée maximale de 60 jours civils composé d’un délai initial de 30 jours pour une procédure d’acceptation ou de vérification de la conformité des marchandises ou des services fournis avec le contrat, suivi d’un délai supplémentaire de 30 jours pour le paiement du prix convenu.
Cette règlementation espagnole est par conséquent similaire à la règlementation belge qui prévoit, comme rappelé supra, ce même double délai.
La Cour examine donc si cette règlementation prévoyant de manière générale un délai de paiement d’une durée maximale de 60 jours, composée d’un délai initial de 30 jours de vérification est conforme à l’article 4 de la Directive.
Dans un premier temps, elle rappelle que l’article 4, § 3, littera a de la Directive impose aux Etats membres de veiller à ce que le délai de paiement des pouvoirs publics n’excède pas 30 jours civils à partir de la survenance des circonstances prévues par la Directive (essentiellement la réception de la facture ou la réception des marchandises ou services) (point 44 de l’arrêt).
Dans un deuxième temps, la Cour énonce qu’il ressort de la combinaison des articles 4, §3, littera a, iv) et 4, §5 que la Directive ne conçoit pas la procédure d’acceptation ou de vérification comme inhérente aux transactions commerciales entre les pouvoirs publics et les entreprises (points 45 à 47).
Troisièmement, se basant sur l’article 4, §6, et sur le considérant 23, la Cour estime que pour que le délai général de paiement de trente jours puisse être prolongé, une telle prolongation doit être expressément stipulée par contrat et objectivement justifiée par la nature particulière du contrat (point 48).
Se référant ensuite aux conclusions de M l’avocat général en cette affaire, la Cour conclut qu’un délai de paiement supérieur à trente jours est exceptionnel et doit être limité à certaines hypothèses bien définies (point 51).
À la suite de ce raisonnement, la Cour répond donc à la question préjudicielle posée que l’article 4, paragraphes 3 à 6 de la Directive 2011/7 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit, de manière générale, pour toutes les transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics, un délai de paiement d’une durée maximale de 60 jours civils, y compris lorsque ce délai est composé d’un délai initial de 30 jours pour une procédure d’acceptation ou de vérification de la conformité des marchandises ou des services fournis avec le contrat, suivi d’un délai supplémentaire de 30 jours pour le paiement du prix convenu.
Conclusion
Le postulat initial de considérer de manière générale qu’un délai de vérification de trente jours peut précéder le délai de paiement, et qui a guidé la modification règlementaire en 2014, a donc été contredit par la Cour de justice.
Il en ressort qu’une modification de la règlementation en la matière devra être opéré.
Dans l’attente, les juridictions belges pourront se référer à la jurisprudence européenne pour considérer qu’un paiement intervenant après trente jours pourra, à défaut d’avoir été expressément prévu et motivé, être considéré comme un retard de paiement entraînant la débition des intérêts de retard et indemnité.
Gaël TILMAN